Juger l'autre, c'est porter un jugement sur soi....

Critiquer autrui, c'est souvent lui attribuer les défauts ou les qualités que nous n'osons pas reconnaître en nous, explique le psychanalyste Norbert Chatillon.
Une façon de rejeter ce qui nous trouble.
Ces propos, lus dans Psychologie Magazine  m'ont interpellés.
C'est pourquoi je vous propose de découvrir une grosse partie de cette passionnante interview, réalisée par Aurore Aimelet.


Psychologie Magazine : D'où vient la manie de juger systématiquement ?

Norbert Chatillon : Juger, à l'origine c'est opérer une distinction.
Identifier qui je suis et qui est l'autre, en quoi je lui ressemble et en quoi nous sommes différents.
Le jugement est, de fait, aussi essentiel et naturel que la respiration.
Ce n'est que lorsque nous passons de l'altérité, caractère de ce qui est l'autre, à l'altération, action de dégrader, que nous polluons le jugement en tant que fonction psychique vitale.


P.M. : Pourquoi certains « abusent-ils » de cette fonction ?

Norbert Chatillon: Dès lors que ma différence avec l'autre, ou ma ressemblance à lui, me gène, me trouble, me dérange, bref met à mal mon identité, je me défends.
Et la meilleure défense, pour certains, reste l'attaque !


P.M. : Pourquoi une dissemblance ou une similitude ne gênerait-t-elle à ce point ?

N.C.:Nous sommes tous naturellement confrontés à ce que Jung appelle notre « part d'ombre ».
Il s'agit de tout ce que nous avons du mal à reconnaître comme nous constituant : notre lâcheté, notre violence, nos blessures, nos faiblesses, notre angoisse.
Mais aussi, tous ces facteurs positifs que, pour des motifs analysés, nous refusons de considérer comme nôtres.
C'est cette «part d'ombre» qui nous fait attribuer à l'autre des qualités ou des turpitudes que nous ne nous avouons pas, via un mécanisme de projection bien rodé.
Pas évident d'assumer que l'on n'a pas le même statut social qu'un tel, ou la même gentillesse.
Difficile de se dire que nous pourrions, nous aussi, nous conduire comme le malotru croisé un soir.
Il est bien plus facile de juger.
Voire de condamner, quand le pouvoir nous en est donné.


P.M. : Mais alors, qui je juge quand je juge ?

N.C. : Vous ! Juger l'autre, c'est porter un jugement sur soi.
Car cela vous en dit plus sur vous-même que sur l'autre.
Souvenez-vous de saint Luc « pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'œil de ton frère et n'aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? » . La parabole a bel et bien une fonction psychique.
Voir la paille dans l'œil du voisin nous permet d'éviter de considérer notre propre poutre, de nier notre part d'ombre, et de remettre à plus tard une éventuelle remise en question.

« Un tel boit trop » évite de se pencher sur sa propre dépendance, à la nicotine ou au chocolat par exemple.
« Une telle ne travaille pas assez » permet de justifier que l'on travaille plus que de raison, etc....

C'est un mécanisme identitaire très simple : l'autre fait ou pense « mal », il est différent de moi, donc je fais ou pense « bien ».
Et son pendant : l'autre fait ou pense « bien », je suis pareil, donc je fais ou pense « bien ».
C'est extrêmement bénéfique !
À court terme, évidemment.


P.M. : Pourquoi avoir recours à ces petits arrangements avec soi-même ?

N.C. : Parce que c'est douloureux de se remettre en question !
Reprenons l'exemple de votre ami qui jugeait, en de mauvais termes, semble-t-il, la façon dont sa sœur élevait ses enfants.
Sans doute a-t-elle si peur de mal faire qu’elle a besoin de se rassurer en portant un jugement sur toutes celles qui font différemment d'elle, sa sœur au premier chef.

…/…

P.M. : Comment se fait-il que certains aient davantage besoin de se rassurer que d'autres ?

N.C. : Nous avons tous besoin de prouver que nous existons.
Mais certains, par manque de confiance en eux, d'autonomie, de conscience de soi en tant que sujet à la fois semblable et différent de l'autre, vont trouver comme moyen, pour résister, d'être en lutte contre cet autre.
C'est un combat acharné pour trouver une identité qu'ils ont du mal à trouver au fond d'eux-mêmes.

P.M. : Ceux qui ne jugent pas seraient donc plus confiants que les autres ?

N.C. : Chacun de nous passe son temps à juger, de ses premiers écrits à son dernier souffle.
Il n'y a pas, selon moi, de gens qui ne jugent pas.
Il y en a certains, en revanche, qui fuient le jugement, par peur de se tromper, d'être jugés à leur tour, d'être « désaimés », ou plus simplement, par fidélité aux injonctions morales et éducatives (« ça ne se fait pas » ou « ce n'est pas bien ») ou bien encore, pour éviter coûte que coûte un éventuel conflit (« que se passe-t-il si l'autre ne juge pas comme moi ? »).


…/…

P.M. : Comment ne plus être dupe d'un jugement à l'emporte-pièce ?

N.C. : Évidemment, un travail sur soi permet d’y voir clair sur la complexité organisatrice de nos jugements, pour comprendre les mécanismes et assumer au mieux notre part d'ombre.
Ce que nous pouvons tous faire, là, maintenant, et de rester vigilants !.
Lorsque le jugement cesse d'être une simple différenciation, parce qu'il se confond avec l'arbitraire, alors on peut se dire que l'on s'égare.
Et puis, un brin d'auto-dérision est toujours le bienvenu.
Si on casse du sucre sur le dos d'un collègue et que l'on reste pleinement conscient qu'il s'agit là d'une petite mesquinerie de notre part, alors rien n'est perdu !
Le plus important étant de ne pas être dupe.

Tant qu'il y aura de la vie, il y aura… du jugement !


Allez, au plaisir de vous lire...

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