L'histoire de la balle de tennis Jaune

En cadeau, voici un passage du livre "Le rire du Cyclope" de Bernard Werber, dans lequel il évoque un point fort majeur qui a fait de lui un auteur à succès...
Cet extrait de la postface concerne "l'histoire de la balle de tennis jaune."
L'auteur avait évoqué cette histoire, lors de la conférence à laquelle j'avais assisté à Paris, sur le thème "comment écrire un roman?"...


A l'origine du Rire du Cyclope, une petite histoire étrange qui m'est arrivée alors que j'avais 17 ans. J'avais commencé depuis un an l'écriture des Fourmis et le roman ne fonctionnait pas pour des raisons que je n'arrivais pas à expliquer. Quand je le donnais à lire à mes amis, je voyais bien qu'il leur tombait des mains, ou qu'ils ne trouvaient jamais le temps de le finir. Il faut dire que le manuscrit faisait quand même 1500 pages. .../...
Quelque chose n'allait pas, mais je n'arrivais pas à définir quoi.

Le déblocage s'est produit lors d'une excursion en montagne, dans les Pyrénées. Nous étions huit. Après avoir affronté une pluie glacée et géré la crise d'asthme de l'une des personnes du groupe, nous étions arrivé à une heure du matin (alors que nous avions prévu d'arriver à 17 h, de jour) dans un refuge en altitude. Nous avions froid, faim, nous étions épuisés, nos pieds étaient en sang, nos doigts gelés, et il nous semblait entendre des loups au loin.
Dans le ciel, pas de pleine lune, pas d'étoiles, juste la lueur de nos lampes de poche.
Nous nous sommes réunis en cercle, serrés comme tous les animaux en état de détresse, et l'un des membres de notre petite expédition a proposé que, "pour nous réchauffer l'esprit, nous lancions un concours de blagues".
Après que chacun eut lancé la sienne, souvent minable (nous nous forcions à rire par politesse), pour oublier la faim et le froid, l'un d'entre nous demanda : " Vous connaissez l'histoire de la balle de tennis jaune ?"



Nous avons secoué la tête, nous attendant à une devinette facile. Et il a commencé à raconter :

"C'est un type qui vient de passer son Brevet d'études supérieures et termine premier.
- Pour le récompenser son père lui propose de lui offrir un vélo.
Mais le jeune homme dit :
- Ecoute, Papa, c'est très gentil, évidemment que j'ai toujours rêvé d'avoir un vélo, mais si tu veux vraiment me faire plaisir, ce que je voudrais, c'est autre chose.
- Quoi donc ?
- Une balle de tennis jaune.
Le père s'étonne :
- Mais tu ne joues pas au tennis.
- Non.
- Et tu ne veux pas plutôt une boîte de plusieurs balles ?
- Non plus. Juste une balle de tennis. Mais en revanche je la veux précisément de couleur jaune.
- Et tu vas en faire quoi ?
- Papa, tu m'as demandé ce que je voulais, je te réponds, maintenant, si ça te gêne de ne pas comprendre le sens de ce cadeau, tu peux m'offrir le vélo, mais ce n'est pas ce qui me ferait le plus plaisir.
Le père, bien qu'étonné, obtempère et offre la balle.



Quelques années plus tard, le jeune homme réussit son baccalauréat avec mention Très Bien.
Le père veut lui offrir une moto. Mais le fils lui répond que même s'il sait que tous les jeunes rêvent de cela, lui préfère autre chose. Une balle de tennis jaune.
- Quoi, encore ça ? Mais qu'as tu fait de la première ? Et puis tu ne joues toujours pas au tennis il me semble.
- Papa, ne me pose pas de questions, un jour je t'expliquerai. Si tu veux vraiment me faire plaisir c'est la seule chose dont j'ai vraiment envie. Une balle et une seule, de tennis, de couleur jaune.
Le père obtempère et offre l'objet convoité.

Le fils fait des études de médecine et sort premier de sa promotion. Le père veut lui offrir un studio pour qu'il s'installe près de son université. Mais là encore, le fils dit qu'il préfère, plutôt qu'un studio, une balle de tennis jaune.
- Tu ne veux toujours pas me dire pourquoi ?
- Un jour je t'expliquerai.

Puis le fils se marie, le père veut lui offrir une voiture, mais pour le mariage le fils dit qu'il préfère une balle de tennis jaune.
- Tu ne joues toujours pas au tennis ? Tu ne veux pas pour changer en avoir une blanche ? Tu ne veux pas une boite de 6 balles jaunes ? ça nous ferait peut-être gagner du temps ?
- Non, juste une. Et de couleur jaune.
Une fois de plus, le père offre la balle.



Et puis le fils a un accident. Il est grièvement blessé. Le père fonce à l'hôpital et le médecin lui dit que c'est très grave, que le fils ne s'en remettra pas, il ne passera pas la nuit.
Le père affolé, rejoint son fils qu'il découvre enroulé dans des bandages, avec des tuyaux qui le relient à des appareils.
- Comme c'est affreux ! Mon fils !
Mais sous les bandages une voix faible murmure :
- Papa, je sais pourquoi tu es là. Demain je serai mort et tu as le droit de savoir.
- Mais ne dis pas de telles horreurs. Il faut que tu vives !
- Non, le médecin m'a dit que c'était fichu. Par contre je t'attendais pour te révéler le secret.
- Mais non mon fils, ça n'a aucune importance. - Si Papa, toute ces années où tu as voulu m'offrir un vélo, une moto, un studio, une voiture et où chaque fois j'ai préféré une balle de tennis jaune, en fait c'est pour une raison très précise. Approche ton oreille de ma bouche. Je vais te confier ce grand secret. En fait, si je voulais une balle de tennis jaune c'est parce que... Argggghhhh !
Et il meurt."

Quand notre ami a eu fini de parler, un terrible silence est tombé.
Et puis on lui a tous sauté dessus pour lui faire des chatouilles et le punir de nous avoir autant frustrés.
- Salaud ! Comment as-tu pu nous mener en bateau comme ça ! Et pour en arriver là !

Pourtant il s'était passé là quelque chose qui me semblait passionnant.
Durant tout le récit, nous avions fini par oublier toutes nos douleurs de la marche en montagne, nos ampoules, nos pieds en sang, la crise d'asthme de notre copine, les loups.
Nous étions tous tellement préoccupés par cette balle de tennis jaune que c'était devenu la chose la plus importante du moment.

Et puis nous avions réellement vécu une émotion au moment de la chute de la blague.
Ce qui explique que nous lui soyons tombés dessus au lieu de nous contenter des rires de politesse qui avaient accueilli la chute des blagues banales. Nous avions vécu quelque chose de physique grâce à une simple histoire.



Dans ma tête la chose a provoqué un flash. "Voilà le grand secret du suspense, me suis -je dit. Créer une balle de tennis jaune".
Dès lors j'ai réécrit les fourmis Une famille héritait d'une maison avec une cave fermée.
Les personnes qui y allaient disaient : "Ce que j'ai vu est tellement incroyable que je ne peux pas vous dire ce que c'est."
Du coup le livre fonctionnait avec l'imaginaire du lecteur.
C'est le lecteur qui, sans le savoir, fabriquait à chaque voyage d'un personnage dans la cave, ce qu'il voyait et ne voulait pas dire parce que c'était trop extraordinaire.

Une blague m'a donc fait comprendre l'art du conteur...

Allez, au plaisir de vous lire.... Enjoy !

 

 

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