Lettre posthume de Paul le poulpe à Éric Zemmour


Une autre pertinente lettre posthume de David Brunat, parue dans le figaro.fr



FIGAROVOX/HUMEUR - Après s'être glissé dans la peau de Freud et de de Steve Jobs, David Brunat emprunte cette fois-ci les traits de Paul, poulpe devin rendu célèbre par ses prédictions durant la Coupe du monde, et écrit à Eric Zemmour.

Monsieur le Moraliste,

Voilà maintenant quatre ans que j'ai passé l'arme et les tentacules à gauche (le poulpe Paul s'est éteint dans son bassin d'Oberhausen, en Allemagne, le 26 octobre 2010), et je n'avais pas autant ri, d'un rire posthume et aquatique tonitruant, qu'en ce jour de juillet où vous avez pronostiqué une cuisante défaite de l'Allemagne contre le Brésil à ce jeu de ballon rond que les humains aiment à la folie.

Et de folie, parlons-en. Car c'est à croire, Monsieur l'oracle, que depuis lors la déraison s'est emparée de vous.
Vous aviez annoncé une débâcle allemande à cause de son équipe «trop métissée».
Hélas, cette dernière a remporté une victoire historique.
Ô misérable et insolent genre humain, qui se fait gloire de son intelligence et se croit l'égal des dieux.
Cette terrible déconvenue aurait dû vous inviter à mettre la pédale et la ventouse douces à vos prophéties, puisque la première d'entre elles à devoir affronter l'épreuve des faits et non de la seule raison raisonnante prenait à ce point l'eau.

A votre place, Monsieur l'aruspice, je serais rentré dans ma coquille.
Mais non !
Comme un poisson dans l'eau, le devin a continué à vaticiner et à multiplier les prédictions avec l'aplomb d'un mage infaillible.

Ô misérable et insolent genre humain, qui se fait gloire de son intelligence et se croit l'égal des dieux, quand un invertébré, lui, a pu sans crâner témoigner tout au long de sa carrière de pronostiqueur en aquarium d'un jugement sans faille, d'une habileté de sirène et d'un flair digne de la Pythie, proclamant à chaque fois sans se tromper le résultat des matchs de cette Coupe du Monde !

J'ai le triomphe modeste.
Permettez juste que je cite un auteur de votre pays que vous devez apprécier puisqu'il a vécu avant le temps de la décadence, du déclin, de la descente aux Enfers et des chansonniers post soixante-huitards que vous exécrez.
Il s'agit de Montaigne.
Relisez ses «Essais».
Pénétrez-vous de ce qu'il y dit sur l'intelligence animale, sur la rogue bêtise humaine et sur les vertus comparées des hommes et des bêtes.
Et méditez ces propos, qui me semblent assez bien adaptés à votre cas:

«La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et faillible de toutes les créatures, c'est l'homme, et pourtant la plus orgueilleuse.»

Mais je ne voudrais pas vous donner l'impression de prendre la plume et de faire couler l'encre (la mienne, d'ailleurs, car j'en produis moi-même) pour vous invectiver.
La pieuvre sait être bonne fille.

Vous aimez les passes d'armes mais vous appréciez aussi les propositions constructives.
Il se trouve que j'en ai justement une à vous faire.
Quelle est-elle?

De vous inviter à quitter votre vieux pays en déclin et votre époque toute pourrie pour me rejoindre et pour devenir citoyen d'honneur de la République des céphalopodes.
Vous doutez du bien-fondé de cette offre faite par un mollusque?
Laissez-moi vous préciser que non seulement nous sommes capables de mémoire et de divination, mais aussi que nous avons un cerveau particulièrement développé, l'un des mieux formés du règne animal.
Vous apprécierez aussi notre société pour une autre raison : les rapports bien réglés entre les sexes.

Chez nous, aucun risque que les femelles prennent le pouvoir et sortent de leur rôle séculaire.
Nos épouses pondent sagement leurs œufs et, une fois ces derniers éclos, s'occupent des petits avant de rapidement mourir, épuisées mais satisfaites d'avoir accompli la mission que le Créateur et maître des océans leur a assignées.
Les mâles sont des mâles, Paul ne se prend pas pour Paulette et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes marins.

Dans l'attente du plaisir de vous accueillir dans notre noble société de mollusques, je vous serre la pince et vous adresse mes mâles salutations octopodes


Paul le poulpe

Alias David Brunat, écrivain et conseiller en communication.

Allez, au plaisir de vous lire ...

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